Saturday, October 6, 2012

LES TOURISTES VISITENT LES ATTENTATS TERRORISTES

Cet été, entre le 30 juillet et le 3 août, c'est une initiative touristique plus étrange qui a été organisée : Visiter les emplacements d'attentats terroristes.

La proposition serait choquante, voire sordide, si elle n'était le fruit de Yossi Atia, artiste et réalisateur israélien de 33 ans dont les œuvres ont déjà été exposées à la Tate Modern à Londres ou au Centre Pompidou à Paris.

Son projet se veut une œuvre, inscrite dans le cadre d'un festival artistique. Son objectif : Permettre aux quelques visiteurs (ils furent 60 en 4 jours) de briser, dit-il, le « tabou » de la souffrance et de la peur qui hante les civils depuis la seconde Intifada. Yossi Atia est convaincu que la société israélienne a été profondément affectée par ces attentats, mais qu'il n'y a pas eu de véritable prise de conscience, politique ou artistique. « La plupart des œuvres d'art qui sont faites à propos de la seconde Intifada font référence aux sacrifices des soldats, ou bien à la souffrance des Palestiniens, mais jamais à celle des civils », affirme-t-il. Revenir sur les lieux des attentats est, selon lui, une expérience cathartique nécessaire.

Entre l'intime et l'historique

Au programme de cette visite guidée, les curieux étaient donc invités à suivre Yossi Atia tout au long de Jaffa Street :
Cette artère parmi les plus importantes de Jérusalem est aussi celle qui a été le plus touchée par les attentats terroristes au monde, puisqu'on n'y dénombre pas moins de 12 attentats depuis 1948, dont 7 depuis 2001.

De Mahane Yehuda – le grand marché extérieur – à Zion Square, Yossi Atia entraîne les touristes et quelques journalistes à la redécouverte de ces événements traumatisants. Chaque étape de la visite correspond à un attentat. Yossi Atia raconte tout d'abord les circonstances de l'attaque – s'il s'agit d'un bus, ou bien d'un café victime d'un « attentat-suicide » – ainsi que le nombre de morts et de blessés …

Et l'inventaire est impressionnant :

L'attaque de la pizzeria Sbarro en août 2001 : 15 morts.

En décembre de la même année, deux attentats coup sur coup dans la rue piétonne Ben Yehuda : 13 morts.

L'attentat du 27 janvier 2002, perpétré par la première terroriste kamikaze : Un mort.

Ou encore l'attaque de Davidka Square en 2003, dans un bus : 17 morts…

Mais Yossi Atia ne se contente pas de cette comptabilité morbide. Il fait aussi appel à ses souvenirs personnels pour faire ressurgir les émotions ressenties durant ces périodes de grand traumatisme : « Entre mes 21 et 25 ans, j'habitais à quelques pas de Jaffa Street. Je me rappelle de Nirvana, de Pulp Fiction, mais aussi des rues vides, de la peur… », confie-t-il.

Entre l'intime et l'historique, chaque visiteur est invité à partager ses souvenirs de cette époque : le coup de téléphone que l'on passe à sa famille et à ses amis après l'annonce d'un attentat pour s'assurer qu'ils vont bien, les émissions de télévision qui sont interrompues, ou encore la « tactique du bus » qui semble avoir particulièrement marqué les visiteurs.

Syndrome post-traumatique

Les bus sont le transport en commun le plus répandu en Israël et aussi l'une des principales cibles des attentats durant la seconde Intifada. Obligé de « faire avec », chacun a développé une stratégie différente pour prendre le bus et continuer à vivre. Dana Hebard, qui faisait son service dans les Territoires occupés durant cette période, explique, par exemple, qu'elle se sentait plus en sécurité près du chauffeur. D'autres préféraient se tenir au fond …

Michael Ritov, un autre participant de la visite, raconte qu'une de ses amies « rentrait dans un bus, observait les passagers et allait toujours s'asseoir à côté de celui qui lui semblait le plus louche ! Si c'était un terroriste, elle préférait ainsi sauter avec lui plutôt que de se retrouver paralysée, ou amputée… »

« Je me suis rendu compte à la fin de la visite que la seconde Intifada était très intense, mais qu'au final on s'y était adapté très vite. On s'habitue à cette violence en quelque sorte, elle devient presque normale », analyse Michael Ritov, un des spectateurs. Et cette banalité, Yossi Atia la combat en posant des questions dérangeantes : « Peut-on aller boire un verre avec ses amis quand un attentat vient d'avoir lieu ? Peut-on aller au cinéma avec sa petite amie ? À partir de combien de morts doit-on rester chez soi ? » interroge-t-il. « Je pense que la nation entière souffre d'une sorte de syndrome post-traumatique ! » analyse Dana Hebard, qui est devenue psychologue après son service militaire. Selon elle, la société israélienne vit dans la crainte d'une reprise des attentats, et préfère ne pas y penser.

Bizarrement amusant

Étonnamment, tous les témoignages se rejoignent pour dire que ce tour un peu spécial n'a rien de morbide : « C'est, bizarrement, incroyablement amusant », témoigne une des spectatrices. Pour Yossi Atia, ce partage de souvenirs – des plus ridicules aux plus graves – a pour conséquence de cicatriser les plaies restées béantes faute d'exorcisme. Le premier réflexe des spectateurs après la visite a été de parler à leurs amis ou à leur conjoint de la seconde Intifada.

Grands absents de la visite : les Palestiniens, qu'il s'agisse des poseurs de bombes ou des victimes des représailles israéliennes. Celui qui met un point d'honneur à se décrire comme « un artiste et pas un homme politique » a tenu à se focaliser uniquement sur les souvenirs personnels, sans entrer dans la polémique du rôle ou de la responsabilité de chaque camp. Une neutralité radicalement opposée à ses œuvres précédentes, beaucoup plus engagées politiquement. « Je n'ai pas d'ordre du jour, d'intentions sous-jacentes, je ne fais pas de politique », affirme l'artiste, qui reconnaît que son initiative suppose une bonne dose d'humour noir.

Source : Le Point.fr, par Arnaud Aubry

Précision d'Europe Israël : Lors de la seconde Intifada, il  a été recensé 1 017 Israéliens tués(70 % de civils) et des milliers de blessés.

 

 

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